Si, comme moi, vous lisez pendant vos vacances (encore plus qu’habituellement), sachez que le thème du roman Abysses parallèles de Serge Robert que je présentais lundi, m’a donnée une inspiration sous marine. Je vous propose aujourd’hui une sélection littéraire d’exploration sous marine à lire et relire sans modération 🙂
Vingt mille lieues sous les mers – Jules Verne (1870)
Résumé : Ce grand classique de Jules Verne entraîne le lecteur dans un périple sous les océans à bord du sous-marin Nautilus, dirigé par le fascinant capitaine Nemo. Le professeur Aronnax et ses compagnons, d’abord captifs de ce mystérieux “monstre marin”, explorent les merveilles et les dangers des profondeurs : forêts d’algues, cités englouties, combats contre des créatures géantes. Le voyage est une aventure scientifique autant qu’un thriller : l’identité de Nemo et les intentions de ce génie misanthrope demeurent un mystère jusqu’au bout.
Thématiques principales : L’œuvre mêle l’exploration sous-marine (première épopée de science-fiction consacrée aux fonds marins), le mystère (autour de Nemo, personnage sombre dont on découvre peu à peu le passé) et des réflexions en avance sur son temps. Jules Verne y délivre en effet une critique politique et écologique avant l’heure : Vingt mille lieues est à la fois un roman d’aventures sous-marin et une “fable écologiste et anticolonialiste”. Nemo, en révolte contre les impérialismes de son époque, vit en autarcie sous la mer et ne prélève que le nécessaire, incarnant une vision alternative de la relation entre l’homme et la nature. Ce mélange unique d’évasion fantastique et de questionnements sur le progrès scientifique et la domination coloniale inscrit pleinement le roman dans la triple dimension demandée.
Le jour ne se lève pas pour nous – Robert Merle (1986)
Résumé : Ce roman réaliste nous plonge au cœur d’une patrouille à bord d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins français pendant la Guerre froide. Le récit, narré par le médecin du bord, décrit minutieusement la vie cloisonnée de l’équipage tout au long des 70 jours de mission opérationnelle. Dans le huis clos métallique du submersible, les tensions psychologiques montent parmi des hommes isolés du monde, condamnés à cohabiter dans un espace confiné sous les flots. La routine militaire est rythmée par la discipline stricte et la crainte permanente d’une avarie fatale ou d’un ordre de tir nucléaire qui bouleverserait leur destin.
Thématiques principales : Robert Merle livre un thriller psychologique en milieu sous-marin, où l’exploration n’est pas géographique mais intérieure : l’isolement sous l’océan révèle les personnalités et les angoisses de chacun, maintenant un mystère sur la solidité morale de l’équipage. Le roman intègre aussi une réflexion contemporaine sur la dissuasion nucléaire et son enjeu géopolitique : en filigrane, l’auteur interroge « le rôle de la dissuasion nucléaire, son avenir et les dangers auxquels elle nous permet d’échapper ». À travers cette immersion hyperréaliste, le livre s’inscrit donc dans la triple dimension : sous-marin (pour son cadre unique à bord d’un SNLE), mystérieux (pour la tension latente et le non-dit psychologique) et tourné vers les questions contemporaines (la guerre froide, la technologie nucléaire et la condition humaine face à ces défis).
Plonger – Christophe Ono-dit-Biot (2013)
Résumé : César, un journaliste parisien, retrace l’histoire d’amour passionnée mais tragique qu’il a vécue avec Paz, une photographe espagnole aventureuse. Dès les premières pages, on apprend que Paz est morte – son corps nu a été retrouvé sur une plage d’un pays du Proche-Orient. Pour expliquer à leur jeune fils ce qui est arrivé à sa mère, César replonge dans leurs souvenirs : la rencontre, le bonheur des débuts, puis l’inquiétude grandissante en voyant Paz, esprit libre, se sentir étouffée en Europe et aspirer à de lointains horizons. Son récit prend des allures d’enquête intime, César tentant d’élucider les raisons qui ont poussé Paz à partir seule vers un destin funeste.
Thématiques principales : L’exploration marine tient une place symbolique et réelle dans le roman : fascinée par les océans, Paz était passionnée par les requins au point d’“adopter” l’un d’eux, et elle parcourait le monde pour dénoncer la disparition de la faune marine. Le mystère plane sur le personnage de Paz – artiste brillante et tourmentée – et sur les circonstances de sa mort, que César recompose peu à peu à la manière d’un puzzle affectif et géographique. Enfin, le récit est ancré dans les enjeux contemporains : il évoque des événements marquants (César a par exemple été témoin du tsunami de 2004 et otage au Liban, expériences traumatisantes qui le rendent craintif de l’aventure) ainsi que la confrontation entre le Vieux Continent et le “Nouveau Monde”. Ono-dit-Biot aborde ainsi la mondialisation et le sentiment d’être étranger à son propre pays, l’écologie à travers le combat de Paz pour la vie sauvage, et l’identité à travers la quête de sens de ces deux amants cosmopolites. Par son titre même, Plonger conjugue immersion sous-marine et immersion introspective, tout en posant un regard critique sur le monde actuel.
L’Île du Point Nemo – Jean-Marie Blas de Roblès (2014)
Résumé : Ce roman foisonnant rend hommage aux grands récits d’aventure à la Jules Verne tout en les mêlant à une intrigue moderne. Au XIXe siècle, un excentrique gentleman nommé Martial Canterel s’embarque dans une chasse au trésor effrénée autour du monde, à la poursuite d’un fabuleux diamant volé. Accompagné de sa secrétaire, d’un majordome et même d’un certain Holmes, il doit résoudre une série d’énigmes qui le conduisent du Royaume-Uni jusqu’en Australie, puis à bord d’un trois-mâts voguant toutes voiles dehors jusqu’au mythique « Point Nemo », le point de l’océan le plus éloigné de toute terre. En parallèle, le récit alterne avec des chapitres au XXIe siècle, dans une usine de fabrication de liseuses électroniques en Chine, ce qui crée un contraste déroutant entre deux époques. Les deux trames finiront par converger vers la mystérieuse île du Point Nemo.
Thématiques principales : L’Île du Point Nemo se distingue par son mélange des genres : c’est à la fois un roman d’aventures classique (avec explorations maritimes, voyages exotiques et savoureux pastiches de Jules Verne et Conan Doyle) et un thriller d’espionnage teinté de Steam punk. Le mystère y est omniprésent à travers les devinettes et rebondissements qui jalonnent la quête du diamant, ainsi que les liens cachés entre les deux récits temporels. Surtout, Blas de Roblès insère en filigrane une dimension contemporaine et engagée. Le roman offre une réflexion écologiste et satirique, notamment via le personnage du dirigeant de l’île finale, qui mène des expériences inquiétantes – il y a « une partie écologique avec le dirigeant de l’île Nemo » dans le roman. De plus, la critique de l’ultra-capitalisme moderne (symbolisée par l’usine de liseuses en Chine) apporte un éclairage géopolitique mordant. Au final, ce livre inclassable s’inscrit pleinement dans la triple dimension : il nous fait vivre une exploration maritime extravagante (jusqu’au cœur du Pacifique inexploré), nous tient en haleine par ses mystères multiples, et propose une réflexion (souvent ironique) sur notre monde actuel (impérialisme économique, technoscience et écologie).
Doggerland – Elisabeth Filhol (2019)
Résumé : Sur fond de tempête nordique, Elisabeth Filhol tisse l’histoire de deux scientifiques liés par un territoire disparu. Margaret, une géologue écossaise, a consacré sa carrière à Doggerland – vaste contrée aujourd’hui engloutie sous la mer du Nord – tandis que Marc, un ingénieur français, a fait le choix inverse en travaillant sur les plates-formes pétrolières offshore. Vingt ans après leur idylle avortée, ils se retrouvent conviés à un congrès au Danemark. Mais la veille de leurs retrouvailles espérées, la tempête Xaver, requalifiée en ouragan, s’abat sur l’Europe du Nord. Au fil des heures, alors que les vagues et les vents réveillent les fantômes du Doggerland préhistorique (cette terre submergée il y a 8000 ans), Margaret et Marc voient ressurgir les souvenirs de leur passé commun, leurs regrets et les choix qui les ont séparés.
Thématiques principales : Doggerland se déploie à la croisée de plusieurs axes. D’une part, c’est un roman d’exploration scientifique : il fait découvrir au lecteur le Doggerland, ce « territoire mystérieux » englouti dont l’héroïne a fait son objet d’étude. À travers ses recherches archéologiques sous-marines, le livre ouvre une fenêtre sur les origines (la préhistoire européenne) tout en questionnant notre rapport contemporain aux océans. D’autre part, c’est un roman de mystère humain et naturel : le cœur de l’intrigue réside dans la tension amoureuse inaboutie entre Margaret et Marc, et dans l’arrivée de la tempête. Filhol, elle-même scientifique de formation, « convoque les tourments de l’amour, les risques technologiques et naturels » dans ce récit. En effet, la confrontation dramatique entre la puissance de la nature (la mer en furie, symbole de Doggerland) et la technologie humaine (les forages pétroliers, les éoliennes en mer) est au centre du propos. Enfin, le roman est résolument contemporain dans ses réflexions : il oppose deux visions du monde – l’une tournée vers l’écologie et la préservation du passé commun de l’humanité (Margaret qui refuse l’industrie pétrolière), l’autre vers l’exploitation économique des ressources (Marc et le rythme effréné du marché du pétrole). En somme, Doggerland embrasse la triple dimension en mêlant exploration sous-marine (une terre engloutie révélée par la science), mystère sentimental et climatologique, et questionnements sur le développement durable et la mémoire collective à l’ère de l’Anthropocène.
Peurs en eau profonde – Olivier Descosse (2022)
Résumé : Thriller haletant ancré sur les côtes méditerranéennes, Peurs en eau profonde débute par la découverte macabre d’un cadavre de plongeuse au large de Marseille. La commandante Chloé Latour, policière tourmentée, mène l’enquête qui la plonge (au sens propre) dans le milieu dangereux des scaphandriers professionnels et chasseurs d’épaves. Avec l’aide de Jean, un plongeur chevronné au lourd passé, elle explore les abysses – scènes de crime silencieuses à plus de 150 mètres de fond – à la recherche d’un tueur atypique. Les investigations subaquatiques s’enchaînent au rythme des découvertes de corps mutilés et de mystères scientifiques (un plancton inconnu retrouvé dans les poumons des victimes, par exemple), tandis que la tension monte comme lors d’une descente en apnée : on s’enfonce dans un huis-clos sous-marin oppressant, où chaque plongée peut être fatale.
Thématiques principales : Olivier Descosse réunit ici tous les ingrédients de la triple dimension. Le roman immerge le lecteur dans le monde sous-marin des plongées extrêmes, décrites avec un réalisme technique saisissant (mélanges de gaz, caissons de décompression, dangers des grottes sous-marines, etc.). Sur ce décor original se greffe une intrigue de mystère et de suspense policière très efficace – meurtres en série, secrets enfouis dans le passé de Jean, fausses pistes et révélations surprenantes. La critique a salué l’œuvre comme un récit « où Olivier Descosse s’impose en une sorte de Stephen King ou Jean-Christophe Grangé des fonds marins, [qui] inquiète, intrigue et fascine ». Enfin, le roman aborde des réflexions contemporaines à travers ses personnages profonds et blessés : Chloé doit affronter ses propres traumatismes (homophobie familiale, deuil de sa compagne assassinée) et revoir ses certitudes, tandis que Jean, fils de pêcheur, incarne un rapport presque spirituel à la mer qui contraste avec la violence du monde terrestre. Le thème de l’identité (identité cachée du tueur, identité personnelle de Chloé en reconstruction) est central, tout comme une conscience écologique diffuse (la mer Méditerranée, à la fois refuge et cimetière, victime de pollutions mais ultime sanctuaire pour le protagoniste). En bref, Peurs en eau profonde offre une plongée littérale et métaphorique dans les abysses du mystère et de la psyché humaine, sur fond de préoccupations contemporaines.
Écouter les eaux vives – Emmanuelle Favier (2025)
Résumé : Dans ce roman récent, la mer sert de toile de fond à une passion aussi intense qu’improbable. Adrian Ramsey est une « oreille d’or » dans un sous-marin nucléaire britannique : son rôle consiste à écouter et analyser les sons des profondeurs durant de longues patrouilles, enfermée pendant des mois dans un cylindre d’acier sous l’Atlantique. Lors d’une escale à terre en Bretagne, cette jeune femme, habituée au monde clos des sous-marins, rencontre par hasard Abel, un homme aveugle récemment installé en bord de mer. C’est un coup de foudre inattendu. S’ensuit une histoire d’amour absolue entre Adrian et Abel, qui va les entraîner depuis les rivages bretons jusqu’aux plages gorgées de soleil de la Méditerranée. Mais cet amour est « dévorant et dévastateur », voué à l’échec : la relation se heurte à de nombreux obstacles (la cécité d’Abel, le métier d’Adrian, leurs deux univers si différents) qui menacent de les faire chavirer.
Thématiques principales : Écouter les eaux vives se distingue par la poésie de son écriture sensorielle et la profondeur de ses thématiques. L’élément sous-marin y est abordé de façon originale : plutôt que l’aventure ou l’action, c’est le milieu du sous-marin militaire qui est exploré, avec son ambiance confinée, technologique et paradoxalement protectrice pour Adrian (elle se sent « bien dans cet endroit pourtant très technique, aux atmosphères confinées »). Le mystère prend la forme d’une énigme humaine et émotionnelle – comment ces deux êtres que tout oppose (l’océaniste et le terrien aveugle) peuvent-ils s’aimer et se comprendre ? L’auteure joue aussi sur la symbolique des sens : Adrian est l’ouïe (elle perçoit les moindres bruits marins), Abel est la vue intérieure (il guide Adrian vers une perception différente du monde, lui qui arpente le bord de mer plongé dans le noir). Surtout, le roman s’inscrit pleinement dans les préoccupations contemporaines par les sujets qu’il aborde en filigrane. Il y a une dimension géopolitique implicite : Adrian, en tant que militaire, participe à la dissuasion nucléaire (« au cœur d’un dispositif de sécurité mondiale complètement délirant » selon l’auteure) et la mer devient ici le théâtre de la stratégie globale. Il y a aussi une forte dimension intimiste et identitaire : Emmanuelle Favier s’intéresse à « la question de la liberté, de la place qu’on s’attribue dans le monde et de l’appartenance » – on retrouve ces thèmes dans la difficulté pour Adrian de trouver sa place en dehors de l’armée, ou pour Abel de trouver la sienne en tant que personne handicapée dans un monde qui ne l’attend pas. Enfin, la relation même d’Adrian et Abel permet une réflexion sur l’écoute de l’autre et de la nature : la mer, présente en permanence en arrière-plan (bruits d’eau, marées, vagues), est le témoin de leur histoire et symbolise autant la puissance de leurs émotions que les dangers (une métaphore de l’ivresse amoureuse qui peut engloutir). Grâce à cette subtile alliance entre univers marin, intrigue amoureuse mystérieuse et réflexion existentielle sur notre époque (place des femmes dans l’armée, inclusion des personnes différentes, besoin de sens), Écouter les eaux vives s’inscrit parfaitement dans la triple dimension recherchée.
Quels livres auriez vous choisi ? Ceux que je présente vous tentent ils ?
En savoir plus sur Entre Mots et Moustaches
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
J’ai découverte Verne avec Vingt mille lieues sous les mers que j’aimerais relire 🙂 Merci pour la piqûre de rappel !
Génial ce livre 🙂