Bonjour à tous. Je vous présentais hier mon retour de lecture du roman d’anticipation « Memoric » de Régis Chaperon, un auteur devenu pour moi incontournable. Memoric est bien plus qu’un roman d’anticipation, me laissant quelques questions que j’ai envoyé à l’auteur qui nous offre une interview sincère ainsi que son actualité. Je remercie Monsieur Chaperon d’avoir pris le temps de me répondre.
J’espère susciter votre curiosité littéraire et faire découvrir Régis Chaperon à ceux et celles qui sont passés à coté de sa plume 🙂
Qu’est-ce qui vous a inspiré à écrire Memoric et comment l’idée de cette dystopie est-elle née ?
L’élément déclencheur à l’origine de cette histoire a été une déclaration d’Elon Musk avec sa société Neuralink, qui souhaitait développer des puces électroniques afin de les implanter dans le cerveau humain pour en faire des humains « augmentés ». À l’époque de cette annonce, je me suis dit qu’aucune donnée n’était plus personnelle que la pensée. L’idée d’implanter un composant informatique dans le cerveau d’un être humain m’est alors apparue comme un réel danger. J’ai donc poussé ma réflexion jusqu’à créer la société « Memoric » qui avait vu dans l’apparition d’une pandémie atroce le moyen de gagner beaucoup d’argent.
Ensuite, je suis un fan d’Isaac Asimov depuis tout jeune. Cette histoire, ainsi que mon roman « Un siècle de papillons » étaient des hommages à cet auteur. Dans « Un siècle de papillons », Isaac Asimov incarne même un personnage. Dans Memoric, je me projette en 2095, ce qui n’est pas si loin de notre époque. L’omniprésence de robot domestique m’a semblé une suite logique aux avancées de l’intelligence artificielle que nous constatons ces dernières années. Enfin, l’idée d’un virus antique en sommeil dans le permafrost n’est – malheureusement pour nous – pas de moi. C’est une hypothèse scientifique très sérieuse et alarmante. Le réchauffement climatique fait fondre le permafrost. Le risque que d’anciens virus ou d’anciennes bactéries soient libérées dans l’atmosphère est bien réel. En rassemblant tous ces éléments, j’avais le pitch de Memoric.
Avez-vous mené des recherches spécifiques sur des sujets comme la mémoire, la technologie ou les maladies neurologiques avant d’écrire le livre ?
J’ai fait quelques recherches sur la mémoire, mais pour le reste, travaillant dans un domaine technologique et étant féru de lecture de science-fiction, mon imagination a suffi.
Les personnages de Daneel et Elya sont très touchants. Comment les avez-vous développés et quelles intentions aviez vous en créant leurs relations ?
Sans rien révéler sur Memoric, je travaille mes personnages de roman toujours de la même manière : leur caractère est leur colonne vertébrale, j’y ajoute ce qu’ils aiment et ce qu’ils détestent pour coller les muscles au squelette. Ensuite, leur expérience, leur passé, constituent la peau, les cheveux, les cicatrices… Enfin, leur place dans l’histoire défini leur aspects physique : le personnage est-il beau ? Svelte ou en surpoids ? Blond ou brun ? etc.
Depuis toujours, j’accuse les auteurs de science-fiction d’être atteint du syndrome de Frankenstein : la plupart d’entre eux imaginent que les machines voudront nous exterminer.
Ma vision du futur est plus nuancée. J’aime l’idée que les robots, un jour, soient si semblables aux humains que nous pourrons en tomber amoureux (cf. Un siècle de papillons). J’aborde d’ailleurs le thème des sentiments pour les machines dans d’autres de mes romans, notamment dans « À l’ombre des ruines ».
Les thèmes de la mémoire et de l’identité sont centraux dans Memoric. Comment ces thèmes ont-ils évolué durant l’écriture de votre roman ?
L’idée de l’intrigue majeure, à savoir qu’un de mes personnages principaux perdait son identité en recevant la mémoire d’un inconnu, était la base de mon histoire. Je me suis donc interrogé sur « que deviendrait un homme (ou une femme) dont-on parviendrait à effacer la mémoire pour lui en charger une nouvelle avec un passé, des parents, des amis, etc ? ». La question de « qui sommes-nous vraiment ? » m’est rapidement apparue. J’avoue ne pas
avoir de réponse. Une partie de moi croit en l’existence de l’âme. Mais que contient-elle de nous ? Notre mémoire et nos expériences, nos souvenirs font ce que nous sommes. Si en un claquement de doigts, je pouvais changer intégralement vos souvenirs pour les transformer, seriez-vous toujours la même personne ? Non. Pourtant, votre âme serait la même.Dans Memoric, je prends le parti que Jonas est né « bon et gentil » et que ce sont ses expériences et son vécu qui l’ont transformé. Quand il oublie l’homme qu’il était, il subsiste certains traits de caractère qui remontent à la surface de sa personnalité. Il sent que quelque chose ne va pas. Ses souvenirs ne collent pas avec ce qu’il éprouve au fond de lui. Une sorte de conflit interne le pousse à embrasser son âme plutôt que sa mémoire.
Quel message ou quelle réflexion aimeriez-vous que vos lecteurs retiennent de Memoric ?
Comme pour tous mes romans, j’espère avant tout que le lecteur passe un bon moment hors du temps, qu’il oublie ses soucis, la machine à laver en panne ou son adolescent qui vient de claquer la porte de sa chambre. La lecture est un voyage. Mon rôle est d’écrire un trajet qui lui soit agréable avec des arrêts dans des gares splendides, des paysages à couper le souffle, et des rebondissements pour qu’il ne s’ennuie pas. Pour Memoric, j’attire l’attention sur le fait que nos données personnelles sont précieuses, notre mémoire un diamant qu’il nous faut protéger de l’industrie technologique.
Pouvez-vous décrire votre processus d’écriture ? Suivez-vous un plan précis ou laissez-vous vos personnages évoluer librement ?
Ayant déjà écrit dix-huit romans – le dix-neuvième sortira dans quelques semaines – j’ai développé un certains nombre de routines pour optimiser mon travail d’écriture. D’abord, je ne commence jamais l’écriture d’une histoire si je ne connais pas la fin. Ensuite, je connais la trame principale de l’aventure et quelques obstacles ou retournements de situation. Une fois lancé, je sais dans quelle direction doivent aller mes personnages, je connais la destination, mais je les laisse libres de leurs mouvements. Un personnage peut prendre un chemin que je n’imaginais pas pour s’y rendre. S’ils s’égarent trop, je les guide vers la route principale et ils m’écoutent sagement (heureusement !).
En général, j’ai une vision précise à deux chapitres en avant. Au fur et à mesure de mon avancement dans l’histoire, je m’approche de la fin que j’ai prévue. Si j’en suis loin, il me faut « redresser la barre » sur l’action en cours
pour que mes personnages rejoignent le point final. Je ne change jamais la fin d’un roman, même si mes personnages m’ont emporté ailleurs. Ce sont à eux de me rejoindre, pas l’inverse.
Quels ont été les plus grands défis lors de l’écriture d’une œuvre dystopique, et comment avez-vous surmonté ces obstacles ?
C’est mon genre de prédilection. Par conséquent, je n’éprouve pas de réelles difficultés à écrire des romans dystopiques. Dans l’un de mes derniers romans, intitulé « REVERSE », je me suis amusé à mélanger une dystopie et le voyage dans le temps. Memoric étant situé à une époque proche de nous, je n’ai pas eu à imaginer des technologies trop futuristes qui peuvent parfois sonner faux. Je n’ai eu qu’à « tirer le fil » des technologies que nous utilisons
tous les jours pour les moderniser davantage.
Que représente pour vous l’écriture de science-fiction par rapport à d’autres genres littéraires ?
J’ai grandi parmi les livres et les films de science-fiction. Il me faut cependant rétablir la vérité : beaucoup de lecteurs et de lectrices disent ne pas aimer la science-fiction car ils pensent tout de suite à des vaisseaux spatiaux dans l’espace. Lorsque je leur demande s’ils ont aimé la trilogie de « Retour vers le futur », « Minority report », « Je suis une légende », « Total recall », ou même la comédie française « Les visiteurs », les avis sont généralement unanimes. Il s’agit pourtant de science-fiction !
J’écris de tout, du fantastique, du thriller, du roman noir, et de la science-fiction. Je n’aime pas l’idée de m’enfermer dans un genre particulier pour livrer aux lecteurs ce qu’ils attendent. J’aime surprendre. Mon prochain
roman est un roman noir sur la mafia des années 50 et celui d’après se déroulera en 2100 pendant la conquête spatiale d’une nouvelle planète habitable comparable à la Terre. La science-fiction reste mon genre favori, mais pas le seul.
Comment avez-vous réagi aux premières critiques et retours des lecteurs concernant Memoric ?
Vous touchez là un point sensible pour beaucoup d’auteurs : les critiques. Je vais vous confier un secret : quoi que vous fassiez, que vous soyez artiste peintre, scénariste, romancier, menuisier ou acteur de théâtre, vous ne pourrez pas plaire à tout le monde. Il est utopique d’imaginer écrire une histoire qui plaira à tous les lecteurs. Je tiens la
position de « celui qui fabrique ». J’ai une histoire à raconter. Qu’elle vous plaise ou non n’a pas d’importance. C’est cette histoire que je souhaitais raconter. Pas une autre.Si le lecteur est déçu, cela ne signifie pas que j’ai échoué. Cela veut dire que cette histoire n’était pas faite pour lui ou que ce n’était pas le bon moment pour la lire. Le succès d’un livre tient à trois choses : c’est la rencontre entre un lecteur, un livre, et un moment. Parfois c’est le bon livre, mais pas le bon moment. Parfois, ce n’est pas le bon livre pour ce lecteur. J’assume tous mes romans. Ce sont les histoires que je voulais raconter.
À votre avis, quel impact la technologie actuelle a-t-elle sur notre mémoire et notre identité dans la vie réelle, en écho à ce que vous dépeignez dans votre roman ?
Le téléphone portable fait beaucoup de dégâts. Les gens ne lisent plus. Ils « scrollent » des « shorts » ou des « réels » sur Insta ou Facebook pour les plus vieux. Aucun processus d’imagination n’est enclenché par ce type d’activité, sans parler du niveau des vidéos. Nous sommes à une époque où la « culture du vide » tend à rendre les gens le plus amorphe possible pour qu’ils soient de simples consommateurs. Surtout ne pas réfléchir, surtout ne pas rêver.
Achetez votre repas en ligne sur « Uber », consommez-le devant une série « Netflix » et consultez vos messages « privés » avant d’aller dormir pour recommencer demain. Vous voulez voir l’impact de la technologie sur nos vies ? Faites une recherche sur l’avenue des champs Elysée le jour du nouvel an il y a 20 ans et celui de l’année dernière,
vous comprendrez.
Dans ma duologie « IKAR » et « IKAR Générations », j’abordais le thème de l’énergie nucléaire avec la première centrale nucléaire à fusion. Mon message est chaque fois le même : la technologie peut nous apporter d’immense avancée, comme de terribles catastrophes. Une pièce de monnaie possède toujours deux côtés, une face et son revers.
Avez-vous déjà des projets ou des idées pour votre prochain roman ? Allez-vous continuer à explorer des thèmes similaires ?
En 2025, sortira une série en 4 tomes intitulée « GHETTOS ». Le premier tome se situera en 2050 et les suivants tous les dix ans : 2060, 2070, 2080. J’y aborde un thème sensible : la violence dans nos banlieues, que je traiterai sous la forme d’une dystopie. Cela ne plaira pas à tout le monde, mais comme dit précédemment : « Il est utopique d’imaginer écrire une histoire qui plaira à tous les lecteurs ».
En tant qu’écrivain, quel rôle pensez-vous que vous jouez dans la société, surtout dans le contexte actuel ?
Il serait prétentieux de croire qu’en tant que romancier j’écrirais des histoires dans l’intention de changer le monde ! Une telle responsabilité serait écrasante ! Mon rôle n’est que de divertir, de faire passer un bon moment hors du temps à un lecteur ou une lectrice. Mes romans sont à lire comme des « bulles de savon » dans la course de la vie quotidienne.
J’essaie de ménager des « pauses » pour le cerveau d’un lecteur qui parcourt les pages. Ma seule responsabilité est que le voyage imaginaire que je lui propose lui soit agréable.
Quels sont les auteurs ou les livres qui vous ont le plus influencé dans votre parcours d’écrivain ?
Il y en a deux principaux, mais de nombreux auteurs m’ont marqué.
Isaac Asimov pour son œuvre « Fondation » et « Le cycle des robots ». Toute l’œuvre de Philip K. Dick. C’est vraiment mon auteur favori. Il représente ce que j’attends d’un romancier : me faire voyager ailleurs.
Quand j’écris une histoire, je me demande toujours si Philip K. Dick aurait pu l’écrire. Pas de la même manière, pas avec les mêmes personnages, mais dans la trame. Est-ce que l’idée lui aurait plu ? Si la réponse est « oui », alors je continue. Si la réponse est « non » ? Je continue malgré tout. Je ne suis pas Philip K. Dick.
Avez-vous un souvenir personnel ou une expérience qui a particulièrement influencé votre vision de la mémoire ou de l’identité ?
Un roman a changé ma vie.
« Job, une comédie de justice » de Robert A. Heinlein. Je l’ai lu la première fois j’avais 13 ans. J’ai dû le relire une bonne centaine de fois depuis. Ce roman représente à lui tout seul l’objectif que je me suis fixé : faire voyager le lecteur. Il ne traite pas de la mémoire, mais de l’identité, puisque le personnage principal se retrouve, dès le premier chapitre, propulsé dans une réalité parallèle dans laquelle il porte un autre nom, à une autre époque, sans
comprendre ce qu’il se passe. Le reste de son aventure va le transporter dans d’autres réalités alternatives et le pousser à imaginer que Dieu lui-même est en train de se jouer de lui. Ce livre est pour moi un véritable chef d’œuvre.
Enfin, si vous deviez résumer votre philosophie de l’écriture en une phrase, quelle serait elle ?
En général, un auteur a deux ou trois messages à faire passer dans ses romans, qu’il exprime à travers différentes histoires. Dans mon cas, je dirais l’amour, la mort, la famille.
Dans certains de mes romans, il faut savoir lire entre les lignes pour trouver ces thèmes-là, mais je vous assure qu’ils y sont ! En une phrase : j’ai encore un tas d’histoires à vous raconter, j’espère avoir le temps de les écrire pour vous faire voyager.
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Merci pour cette intéressante interview qui permet de mieux saisir les sources d’inspiration de l’auteur et son processus d’écriture.
Même si j’en connaissais une partie, cette interview de Régis Chaperon est très intéressante et je l’ai bien reconnu à travers les quelques livres que j’ai lus. Merci à l’auteur et à toi pour ce partage.
Je savais bien que j’avais déjà rencontré ce Jonas quelque part.
Belle journée.
Merci, bonne journée à toi aussi