Feuilletons radiophoniques en France : histoire, œuvres et héritage

Coucou tout le monde. Lundi, je vous présentais un feuilleton audio, peut-être en avez vous écouté la bande annonce par curiosité ? Aujourd’hui j’ai envie de revenir sur l’histoire du feuilleton radiophonique qui, je l’espère, vous plaira.

Enregistrement d’un feuilleton radiophonique dans les années 1950. Des comédiens interprètent leur rôle devant le micro, donnant vie à l’histoire pour les auditeurs.

Enregistrement d’un feuilleton radiophonique dans les années 1950. Des comédiens interprètent leur rôle devant le micro, donnant vie à l’histoire pour les auditeurs.

Contexte historique et culturel du feuilleton radiophonique

Dans les années 1930, la radio émerge comme un média de masse en France. La population découvre le plaisir d’écouter des histoires contées chaque jour, héritant en partie de la tradition du roman-feuilleton du XIXe siècle. Les premiers feuilletons radiophoniques naissent dans ce contexte et deviennent rapidement très populaires, offrant divertissement et évasion en des temps souvent difficiles (crise économique, montée des tensions internationales). Pendant l’Occupation et la Seconde Guerre mondiale, la production de feuilletons connaît une pause ou une adaptation (certaines émissions étant interrompues), mais l’engouement reprend de plus belle dans l’après-guerre. De 1930 à 1960, les feuilletons radiophoniques connaissent un âge d’or, s’imposant comme un rendez-vous quotidien pour des millions de Français de tous milieux.

À une époque où la télévision en est à ses balbutiements (jusqu’aux années 50) et où Internet n’existe pas, la radio est le salon audio de la famille française – on s’y regroupe chaque jour pour suivre les péripéties des héros du moment.

Culturellement, ces feuilletons reflétaient les valeurs et les préoccupations de la société française d’alors. Ils offraient aux auditeurs un miroir de leur quotidien ou, au contraire, une fenêtre vers l’aventure et le rêve. Dans les années 1940 et 1950, par exemple, certaines séries sentimentales permettaient aux femmes au foyer de se sentir moins seules en partageant les joies et peines de personnages fictifs. La chercheuse Herta Herzog a montré que les auditrices trouvaient dans ces programmes « une décharge émotionnelle », des conseils pour leur propre vie et même des enseignements face à des situations difficiles. Écouter un feuilleton autour du poste TSF devient ainsi une pratique sociale bien ancrée, au point que certaines villes semblaient s’arrêter de vivre à l’heure de diffusion de l’épisode quotidien tant tout le monde était à l’écoute. Dans les années 1960, cependant, l’essor de la télévision commence à éclipser peu à peu ces rendez-vous radiophoniques. Le petit écran capte l’attention du soir, et le feuilleton radio, perçu par certains comme un genre un peu vieilli, amorce un déclin. Néanmoins, jusqu’à la fin des années 1960, les feuilletons radio conservent une place de choix dans le cœur du public français.

Formats, thèmes et structures populaires à l’époque

Entre 1930 et 1970, les feuilletons radiophoniques ont exploré une grande variété de formats et de thématiques, souvent structurés en épisodes brefs avec un suspense entretenu pour fidéliser l’auditeur. La plupart des feuilletons étaient diffusés quotidiennement (du lundi au vendredi) sous forme d’épisodes de 5 à 15 minutes, généralement à heure fixe (souvent autour de la mi-journée ou en fin d’après-midi). D’autres, moins fréquents, pouvaient être hebdomadaires avec des épisodes plus longs (30 minutes à 1 heure) proposant à chaque fois une histoire complète ou une avancée significative de l’intrigue. Dans tous les cas, la structure reposait sur le principe du cliffhanger : terminer l’épisode sur une situation intrigante ou une révélation choc afin de donner envie d’écouter la suite le lendemain ou la semaine suivante.

Plusieurs genres dominent alors les ondes, chacun avec ses codes et son public fidèle :

  • Chronique familiale ou comédie de mœurs : mettant en scène le quotidien et les travers d’une famille ou d’une communauté. Ces feuilletons dépeignent avec humour et tendresse la vie de « Monsieur Tout-le-monde ». Exemple notable : La Famille Duraton (1937-1966), saga satirique d’une famille française moyenne

  • Feuilleton policier ou à suspense : intrigues criminelles, mystères à élucider, enquêtes menées par des détectives ou des journalistes. Ces fictions tiennent l’auditeur en haleine avec des rebondissements. Exemple notable : Les Maîtres du mystère (1952-1974), série d’enquêtes et de mystères diffusée le soir une fois par semaine​.
  • Récit sentimental ou mélodrame : histoires d’amour, drames passionnels, secrets de famille, souvent destinés à un public féminin. L’identification aux personnages est forte et l’émotion au rendez-vous. Exemples notables : Noëlle aux Quatre Vents (1965-1969) sur France Inter, ou Hélène et son destin (1960-1965) sur Europe 1​
  • Aventure, science-fiction et humour décalé : fictions plus extravagantes mêlant aventure rocambolesque, parfois anticipations futuristes, et un ton loufoque. Exemple notable : Signé Furax (1956-1960), une épopée radiophonique délirante teintée d’humour absurde.

Malgré la diversité des genres, on retrouve des constantes dans la mise en ondes. Chaque feuilleton dispose d’un générique musical reconnaissable, de quelques bruitages évocateurs (portes qui claquent, orages, brouhaha de foule…) et de comédiens souvent formés au théâtre, à la diction impeccable. Les dialogues sont le pilier de la narration (puisqu’il n’y a pas d’image, tout passe par la voix) et un narrateur intervient parfois pour planter le décor ou résumer les épisodes précédents. Le ton peut varier du léger au dramatique selon le genre, mais l’objectif reste constant : captiver l’auditeur et stimuler son imagination. Il n’est pas rare qu’un feuilleton suscite des expressions cultes ou des personnages fétiches dont le public reprend les répliques, un peu comme on le ferait plus tard avec les séries télé.

Aperçu de quelques œuvres radiophoniques marquantes (1930-1970)

Plusieurs feuilletons radiophoniques de cette période sont entrés dans la légende de la radio française, tant par leur succès populaire que par leur influence durable. En voici quelques exemples notables, avec leurs caractéristiques principales :

  • La Famille Duraton (1937-1966)Chronique familiale humoristique. Créé sur Radio-Cité en 1936 par Jean-Jacques Vital (initialement sous le titre Autour de la table), ce feuilleton suit les déboires d’une famille française moyenne un peu loufoque. Le comédien Noël-Noël y participa à l’origine, incarnant le truculent père Duraton. Diffusé quotidiennement avant-guerre, le programme est interrompu pendant la Seconde Guerre mondiale puis reprend en 1948 sur Radio Luxembourg, où il restera à l’antenne jusqu’en 1966. Véritable phénomène de société, La Famille Duraton rassemblait chaque jour des milliers de foyers autour du poste. Pour l’anecdote, la radio reçut plus de 7 000 lettres de protestation après un épisode où Madame Duraton cuisine un gigot un Vendredi saint, scandalisant les auditeurs catholiques pratiquants! Ce succès radiophonique a même engendré deux adaptations au cinéma (La Famille Duraton en 1939 et Les Duraton en 1955) ainsi qu’un remake américain en 1943 (True to Life, intitulé Pris sur le vif en France). La longévité du feuilleton, ses personnages savoureux (interprétés entre autres par Yvonne Galli, Ded Rysel, Jean-Jacques Vital lui-même, Jean Carmet, etc.) et son humour bon enfant en ont fait l’un des feuilletons les plus aimés de l’avant et de l’après-guerre.

  • Les Maîtres du mystère (1952-1974)Anthologie policière et suspense. Créé par Pierre Billard et produit par Germaine Beaumont sur la RTF puis France Inter, ce feuilleton est en réalité une collection d’histoires policières indépendantes diffusées une fois par semaine, le mardi soir. Chaque épisode propose une fiction dramatique inédite avec une intrigue à résoudre, souvent adaptée d’auteurs célèbres du genre (Agatha Christie, Edgar Allan Poe, Arthur Conan Doyle, etc.). Émission phare des années 50-60, Les Maîtres du mystère a connu un immense succès populaire : jusqu’à 12 millions d’auditeurs la suivaient, et l’émission était retransmise dans 25 pays francophones ou francophiles. Ces chiffres vertigineux témoignent de l’engouement du public pour le polar radiophonique. Le rendez-vous était si institutionnalisé que le générique et la voix annonçant « Les Maîtres du mystère » donnaient des frissons à plus d’un auditeur. La série a perduré jusqu’au milieu des années 70, résistant un temps à la concurrence de la télévision grâce à la qualité de ses scénarios et de sa réalisation. Elle a laissé une telle empreinte que certains de ses épisodes ont été rediffusés sur cassettes, CD, puis en podcasts patrimoniaux par l’INA, permettant aux nouvelles générations de (re)découvrir ces thrillers d’antan.
  • Signé Furax (1951-1960)Feuilleton d’aventure parodique et humoristique. Imaginé par deux maîtres de l’humour absurde, Pierre Dac et Francis Blanche, Signé Furax est un feuilleton mythique qui a marqué les années 50 par son originalité. Diffusé d’abord en 1951-52 sur la chaîne parisienne de la RTF, il revient de 1956 à 1960 sur les ondes de la toute jeune station Europe n° 1, où il acquiert un statut culte. En tout, pas moins de 1 034 épisodes d’environ 10 minutes ont été produits, répartis en cinq saisons aux titres évocateurs (par exemple Le Boudin sacré, Le Gruyère qui tue, Malheur aux Barbus, etc.). L’histoire suit les enquêtes déjantées des détectives Black et White aux trousses du génie du mal Edmond Furax, le tout dans un univers mêlant espionnage, science-fiction loufoque et comédie burlesque. Le charme de Signé Furax réside dans son ton unique : c’est à la fois un roman d’aventure à suspense et une parodie de feuilleton truffée de calembours, de contrepèteries et d’allusions farfelues. Pierre Dac et Francis Blanche, qui prêtaient aussi leurs voix à certains personnages, entraînaient les auditeurs dans des intrigues rocambolesques où l’absurde le disputait au passionnant. Le succès fut tel qu’on en tira plus tard des livres et même un film (en 1981, réalisé par Marc Simenon). Signé Furax a durablement influencé l’humour radiophonique et reste un modèle du genre, souvent cité en référence par les créateurs de fictions audio actuelles.
  • Noëlle aux Quatre Vents (1965-1969)Saga sentimentale. À la fin des années 60, alors que la télévision commence à concurrencer la radio, France Inter propose encore de grands feuilletons populaires. Noëlle aux Quatre Vents est l’un des derniers grands succès du feuilleton radiophonique classique. Il s’agit à l’origine d’un roman de Dominique Saint-Alban, adapté en feuilleton quotidien diffusé sur France Inter d’octobre 1965 à 1969. L’histoire, qui rappelle les romans-photos de l’époque, suit les tribulations de Noëlle, une jeune femme qui découvre qu’elle a été adoptée et part à la recherche de ses véritables parents à travers de multiples péripéties (jusqu’en Grèce !). La recette mélodramatique fonctionne à merveille et captive un large public, principalement féminin. Le feuilleton rencontre un tel engouement qu’il sera transposé en 1970 à la télévision, sous forme de feuilleton télévisé, en conservant en partie la même équipe. La version TV de Noële aux quatre vents connaîtra également un grand succès d’audience, preuve que l’histoire et les personnages avaient su toucher le cœur du public. Côté distribution, la qualité était au rendez-vous dès la version radio : des acteurs réputés comme Pierre Mondy (bien avant son rôle du commissaire Cordier à la télé) ou Rosy Varte (future star de Maguy) prêtaient leur voix aux personnages, conférant une réelle épaisseur dramatique au feuilleton. Noëlle aux Quatre Vents illustre bien la transition entre deux époques : conçu pour la radio, mais finalement adapté à la télévision, il fait le pont entre la tradition du feuilleton audio et la nouvelle vague des feuilletons télévisés des années 70.
  • Hélène et son destin (1960-1965)Feuilleton sentimental. Diffusé sur Europe n° 1 au tout début des années 60, ce feuilleton quotidien écrit et réalisé par Jean Chouquet se concentre sur les “affres amoureuses d’une hôtesse de l’air” nommée Hélène. Chaque épisode relatait les espoirs, déceptions et choix de vie de l’héroïne dans un style proche du roman sentimental. Particularité intéressante, la série bénéficia d’une distribution prestigieuse : dans le rôle d’Hélène, on retrouvait la comédienne Giselle Pascal, entourée notamment de Michel Piccoli (futur monstre sacré du cinéma français) et de Maurice Biraud, alors acteur et humoriste très en vue. Leur jeu donnait une grande crédibilité aux personnages. Hélène et son destin a connu une forte audience sur Europe 1, chaîne privée qui innovait alors en matière de programmes de divertissement. Le succès du feuilleton a même conduit à des produits dérivés : des romans tirés de l’histoire ont été publiés, permettant aux fans de prolonger l’expérience par la lecture. Ce feuilleton, très ancré dans son époque par son portrait d’une jeune femme moderne tentant de concilier amour et carrière, est un témoin des évolutions sociales des années 60.

Bien d’autres feuilletons radiophoniques pourraient être cités, comme “Sur le banc” (une comédie populaire des années 1950 mettant en scène deux clochards philosophes à Paris), “La clémentine” ou des adaptations radiophoniques de classiques littéraires par la Radio Télévision Française. Chaque région avait parfois ses propres séries radiophoniques (Radio Lille, Radio Toulouse, etc. produisaient des feuilletons locaux). Mais les exemples ci-dessus suffisent à montrer la richesse et la diversité de la création radiophonique durant cette période. Chacun de ces feuilletons a marqué à sa manière l’imaginaire collectif et beaucoup ont eu une seconde vie sous forme de livres, de pièces de théâtre, de disques 33 tours racontant l’histoire, voire de films et séries télévisées, preuve de leur impact.

Impact sur la culture populaire et les habitudes d’écoute

L’engouement pour les feuilletons radiophoniques entre 1930 et 1970 a profondément influencé la culture populaire française et les habitudes d’écoute des auditeurs. À l’époque de leur diffusion, ces feuilletons étaient de véritables événements quotidiens ou hebdomadaires, structurant la journée de nombreuses personnes. Dans les années 1930-50, il n’était pas rare d’entendre qu’« à 20h30, il n’y a plus personne dans les rues, tout le monde est rentré écouter son feuilleton ». Les familles qui en avaient les moyens possédaient un poste de radio dans le salon ou la cuisine, et s’y rassemblaient volontiers ensemble. Comme le décrit une chronique de l’époque, « Dès 1937, les familles françaises se regroupaient autour du poste radio pour suivre ces aventures ». Le feuilleton radiophonique créait ainsi un lien social : on écoutait en famille, puis on commentait l’épisode du jour avec les voisins, au travail ou à l’école le lendemain. Les personnages devenaient des connaissances intimes des auditeurs, leurs joies et malheurs suscitant discussions et émotions. On s’inquiétait du sort de tel héros injustement accusé, on riait des facéties d’un personnage comique, on pleurait parfois lors de la mort ou la séparation de deux amoureux fictifs.

La réaction du public à certains épisodes pouvait être extrêmement vive, signe de cet attachement. On a vu comment La Famille Duraton a provoqué un torrent de lettres indignées pour une simple histoire de gigot mal placé. De même, lorsque survenait un rebondissement majeur (un mariage, un meurtre, une révélation d’identité) dans un feuilleton, les standardistes de la radio pouvaient être assaillis d’appels d’auditeurs voulant en savoir plus ou exprimer leur surprise. Les stations recevaient du courrier en masse, preuve d’une interaction indirecte entre le public et les créateurs bien avant l’ère des réseaux sociaux. Certains personnages de feuilletons ont acquis une telle notoriété qu’ils faisaient l’objet d’articles dans la presse ou de débats passionnés : par exemple, on demandait à l’auteur “Noël-Noël reviendra-t-il interpréter le père Duraton ?” ou “Furax sera-t-il enfin arrêté dans le prochain épisode ?”. Cette ferveur populaire autour de fictions purement auditives montre le pouvoir de la radio sur l’imagination collective.

Au-delà de l’écoute en elle-même, les feuilletons radiophoniques ont laissé une empreinte durable sur la culture française. Nombre d’expressions ou de références en sont issues. Par exemple, les allusions aux “Babus” de Signé Furax ou à la famille Duraton étaient compréhensibles de tous à une époque. Des vocations d’écrivains, de comédiens ou de réalisateurs sont nées chez de jeunes auditeurs captivés par ces histoires radiophoniques, qui ont voulu plus tard perpétuer cet art du récit audio. Enfin, le succès de ces feuilletons a pavé la voie à d’autres formes de récits sériels en France : il a préparé le terrain pour les séries télévisées françaises à partir des années 1960-70 (beaucoup de scénaristes ou producteurs de la télévision avaient fait leurs armes à la radio). Lors de son apogée, Les Maîtres du mystère rassemblait tous âges et tous milieux sociaux devant la radio, ce qui est un exploit que seules quelques grandes émissions TV réaliseront par la suite. On peut donc dire que les feuilletons radiophoniques ont contribué à forger une culture du feuilleton en France, un goût du public pour les récits au long cours et les personnages récurrents.

Cependant, à la fin des années 1960 et surtout dans les années 1970, on observe un déclin de ce phénomène. La télévision, avec des feuilletons visuels tels que Les Cinq Dernières Minutes ou Belphégor, prend le relais auprès du grand public. Les feuilletons radio disparaissent progressivement des grandes ondes, hormis quelques exceptions ponctuelles. À partir des années 1980, le feuilleton radiophonique s’efface presque totalement des antennes, notamment sur les radios privées. Le genre semble alors passé de mode, considéré par beaucoup comme appartenant au passé, à une époque révolue de la radio. Seule la radio publique (France Inter, puis surtout France Culture) continuera vaille que vaille à produire des fictions radiophoniques, maintenant la flamme sans atteindre les sommets d’audience d’antan.

A suivre ….

Author: Angelique

Passionnée par les mots, l'organisation créative et les animaux, j'ai créé Entre Mots et Moustaches , un coin chaleureux où se mêlent l'amour des livres, l'art du Bullet journal et la beauté des animaux. Ici, on célèbre la créativité sous toutes ses formes, dans un esprit bienveillant et inspirant.


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