Interview de Christophe Menet – L’Yeuse : aux origines d’un univers foisonnant

Aujourd’hui, je vous invite à plonger dans les coulisses de L’Yeuse, Première partie, premier opus de la saga Nous, du Continent. Christophe Menet nous ouvre les portes de son processus créatif, de la naissance de son univers à la construction de ses personnages, en passant par les choix narratifs qui font de son roman une medieval fantasy dense et immersive.


Aux origines de l’univers du Continent

1 – L’Yeuse ouvre la saga Nous, du Continent. Qu’est-ce qui a été l’élément déclencheur pour créer cet univers ?

Ça peut sembler étrange, mais le point de départ une très ancienne envie d’écrire une histoire contemporaine, à tendance post apocalyptique. J’en rêve depuis la toute première fois où j’ai lu « le Fléau » de Stephen King. (il y a donc quelques décennies…)
Je m’y suis souvent attelé et m’y suis cassé les dents. Pas assez mûr, j’imagine, pas assez de choses à raconter.
Puis m’est venue l’idée de placer mon roman dans un monde inventé, à la manière de la Fantasy, pour m’épargner les comparaisons avec des personnages et évènements réels qui auraient daté le récit.
C’est en créant ce monde, en lui inventant une géographie et un passé cohérents, en lui imaginant des croyances et des courants de pensées, que j’ai finalement acquis la conviction qu’il me fallait commencer par le début…
Le vrai début. Là où sont nés les mythes et les superstitions.


La création d’une géographie unique

2 – La carte du Continent est un vrai guide pour le lecteur. Comment l’avez-vous imaginée et construite ?

En fait, j’ai dans mon ordinateur, et dans plusieurs disques et clés de secours, le planisphère de la planète dans son ensemble. J’en ai extrait cette carte qui figure dans le premier tome de l’Yeuse. Elle représente la vision tronquée et déformée qu’ont de leur monde les habitants du Continent au début de l’histoire.
Pour créer cette géographie, j’ai utilisé des cartes réelles comme matériau de base. Des cartes physiques, qui indiquent la nature du terrain et les altitudes à l’aide d’un code couleur. Avec Photoshop, je me suis amusé à faire « monter les eaux » pour dessiner de nouveaux contours, à découper des nouvelles côtes en suivant, par exemple, des cours d’eau pour plus de naturel, à modifier les échelles et à superposer de nouveaux type des reliefs une fois satisfait des contours.
Je n’ai imposé qu’un seul paramètre indispensable à mon histoire. Pour le reste, j’ai placé mes continents et leurs paysages selon des lignes de forces qui me semblaient cohérentes sur les plans géologiques, climatiques, etc. Je me suis imposé, pour toute la saga à venir, les même contraintes que si elle se tenait dans le vrai monde. Pas question de rapprocher tout à coup un lieu d’un autre ou de raser une montagne pour me faciliter l’écriture…


Planification et liberté d’écriture

3 – Aviez vous la chronologie complète dès le départ ?

M’étant déjà lancé tête baissée dans des histoires qui se sont avérées bancales, je ne voulais plus vivre cette expérience décourageante. Vue l’ampleur de ce « chantier » dans lequel je me suis engagé, je ne voulais pas m’exposer à une telle frustration et me me suis beaucoup instruit quant aux techniques d’écriture.
J’ai craint un temps que trop de structuration et de méthode allait me brider, rendre l’exercice rébarbatif, mais j’ai finalement pris énormément de plaisir à tous les niveaux de ce travail d’architecture : tracer les grands arcs, déterminer les points où ils se croiseraient, choisir où tendre des pièges au lecteur, etc.
Quand est venu le temps de l’écriture proprement dite, je savais ce que devait impérativement contenir chaque chapitre, mais il me restait encore un tel espace de liberté j’ai pu me laisser surprendre par mes personnages, et même faire la connaissance de bon nombre d’entre eux qui se sont invités en cours de chemin.


Pourquoi l’Âge d’Or ?

4 – Pourquoi situer l’action à la fin de l’Âge d’Or ?

L’action de l’Yeuse se tient très précisément à la fin d’une période que les chroniqueurs et les historiens baptiseront plus tard « l’Âge d’Or ». C’est un temps de changement, de prise de conscience, avec son lot de malheur. Mais j’espère qu’on devine, par contraste, ce qu’ont été les quinze à vingt siècles précédents.
À l’ère moderne, les historiens sérieux remettront en cause la vraisemblance d’une telle période d’insouciance. Je voulais que les lectrices et lecteurs sachent, eux, que l’âge d’Or a bel et bien existé. S’ils continuent de me suivre après l’Yeuse, je veux qu’ils éprouvent de la nostalgie en y repensant.


Les personnages : Lyngrid, Vintsan et les autres

Dès les premières pages de L’Yeuse, Christophe Menet installe une atmosphère décalée qui me surprend, mais qui saura happer le lecteur averti de fantasy. La rencontre avec Lyngrid, fille aînée du douqas de Kestelpriani, marque le point de départ de cette immersion dans un monde aux alliances fragiles.

5 – Comment est née Lyngrid ?

Sitôt prise la décision de créer un monde, je me suis efforcé de « vivre dedans », d’y penser le plus possible. J’ai listé des tonnes d’idées sans forcément savoir à l’avance si elles participeraient à l’ambiance générale, ou si elles s’inscriraient dans un des récits principaux. Parmi les idées anecdotiques, il y avait celle d’une chronique qui traversait les siècles  : les aventures truculentes d’une jeune femme de bonne famille aux très mauvaises manières. Quelque chose d’assez rabelaisien.
Mais j’ai vite senti que Lyngrid méritait mieux que ces petites grivoiseries, qu’elle pouvait à sa manière incarner un archétype bien connu : le héros qui ne voulait surtout pas y aller…
J’ai découvert le meilleur et le pire de sa personnalité à mesure que j’écrivais, et je dois bien avouer que j’en suis un peu amoureux…

6 – Et Vintsan ?

C’est la première fois que je parle autant de cette histoire que j’ai mis cinq ans à élaborer, et il me faut faire attention de ne pas trop en révéler. Tout ce que je peux dire à se stade, c’est qu’à sa manière, Vintsan invente en quelque sorte la chevalerie, dans un monde où elle n’existe pas… ou pas encore.

7 – Théoldt de Coriaire ?

Comme pour Vintsan, difficile d’en parler sans spoiler… Pour dire vrai, Théoldt est si peu présent dans ce premier tome que je ne m’imaginais même pas qu’on pouvait déjà s’interroger à son sujet… C’est son absence qui joue un rôle pour le moment.

8 – Les personnages secondaires ?

Aucun personnage ne m’a posé de problème particulier. Bien au contraire, beaucoup m’ont surpris en s’imposant bien au-delà du rôle auquel je comptais les cantonner. Certains sont même apparus spontanément au fil du récit, m’obligeant à retourner les greffer dans les chapitres précédents.
Gorqa la scribe, par exemple, n’existait pas avant sa rencontre avec le soldat Mæcrinio, qui lui-même ne devait être qu’un messager. Elle n’était là que pour lui ouvrir une porte et finalement, la voilà devenue indispensable, non seulement à l’Yeuse, mais plus largement à la saga comme je l’envisage.
Allez, je dois bien l’avouer, au départ, je n’aimais pas Benyiam (la jalousie sans doute). Mais j’ai fini par m’y attacher et à le traiter mieux que prévu… au final (ça m’aura pris trois tome quand même).


Créatures et peuples

9 – Les Andralogans et les Brakhys ?

Même s’ils ne s’intéressent pas beaucoup à l’histoire, les habitants du Continent pressentent qu’ils ont tous de lointaines origines communes, même les Andralogans. C’est leur zèle religieux qui leur vaut d’être des parias. Revanchards, ils se sont bricolé une identité forte mais pleine de contradiction. Passés maîtres dans l’élevage et la monte des chevaux, ils ne sont pas pour autant un authentique peuple nomade comme on en rencontre dans notre histoire ou dans d’autres mondes de Fantasy.

Concernant les Brakhys, ce sont en quelque sorte « mes elfes à moi » … Je ne peux pas en dire plus car leur nature est l’un des grands mystères qui sous-tendent le roman et même la saga…

10 – Un bestiaire ?

Pourquoi pas, sous une forme ou une autre, se pencher un peu sur les animaux et plantes spécifiques à ce monde, comme le chats laineux, les oiseaux bleu, les larus ou certains champignons…
Mais concernant les créatures fantastiques, c’est à dessein qu’elles demeurent nimbées de mystère.
Ce qui m’intéresserait, ce serait plutôt de découvrir comment les lecteurs imaginent animaux, créatures et personnages de mon roman. Je réfléchis à une invitation à les dessiner ou à les décrire par écrit. Ce serait sympa de publier ça sur les réseaux et le site.

11 – La diversité culturelle ?

Comme le suggèrent leurs légendes, les habitants du Continent descendent probablement tous d’une antique vague de colons, ce qu’il explique que les cités puissent interagir malgré les différences d’organisation ou les accents.

En revanche, les Brakhys ont un mode de vie que je voulais diamétralement opposé à celui des Hommes. Sans doute parce que je suis musicien, et par soucis de contraste, je leur ai imaginé un langage très chantant. Garder de la fluidité dans les passages impliquant les deux langues a été l’une des plus grosses difficultés.


Rythme et narration

12 – Une action rapide dès le début ?

Comme lecteur, je ne suis pas fan des longs préambules qui plantent à l’avance tout le décor. J’aime quand celui-ci se monte petit à petit, en arrière-plan de l’action. Le monde d’un livre préexiste et je trouve très excitant de prendre le train en marche.
C’est pourquoi j’écris à hauteur des personnages. C’est la superposition des points de vue qui donne peu à peu, en temps voulu, toute la perspective nécessaire à une pleine compréhension.

13 – Les lecteurs parfois perdus ?

Dans la lignée de ma précédente réponse, j’ai envie de dire aux lecteurs et lectrices « faites-moi confiance. Si vous avez l’impression que quelque chose vous échappe, c’est justement parce que vous n’êtes pas (encore) censés comprendre… »

14 – La forêt des Brakhys ?

Au tout départ, je voyais surtout la forêt comme un passage obligé, un classique de la Fantasy, presque un cliché et, il faut l’avouer, la planque idéale pour un peuple mystérieux. Puis, à force de m’y intéresser, de me documenter sur les ressources qu’elle pouvait fournir, j’ai fini par l’aimer comme un personnage à part entière et j’ai voulu lui donner un rôle vraiment actif. Elle est plus qu’une demeure pour les Brakhys, elle est une sorte de divinité. Elle devient un sanctuaire pour les hommes et les femmes de la Lisière, un adversaire pour les Andralogans et leur dieu. Finalement, écrire l’Yeuse aura sans doute fait progresser ma petite conscience écologique.


L’avenir de la saga

15 – Que nous réserve la suite ?

Évidemment, les trois tomes de l’Yeuse sont déjà écrits ou en cours de correction. Tout ce que je peux vous dire sans spoiler, c’est que celles et ceux qui, comme moi, aiment les fresques très denses ne vont pas être déçus, car nombre de personnages à peine évoqués vont entrer en scène.
Dès les premières pages du tome 2, vous découvrirez enfin ce qui se trame derrière les montagnes du nord et ferez plus amplement connaissance avec les dragons. Vous prendrez la mer et, petit scoop, constaterez que le vaillant Vintsan n’a pas spécialement le pied marin…

16 – Figures secondaires ?

Certains personnages qui semblent pour l’heure secondaires vont monter en puissance, et les lecteurs et lectrices en ont encore pas mal à découvrir. Géographiquement, au terme des trois tomes, nous auront fait le tour du monde connu… et pas seulement.
Côtoyer les Hommes ne sera évidemment pas neutre pour les Brakhys. Leur monde à eux aussi va basculer.

17 – Contenus exclusifs ?

J’étais évidemment très concentré sur l’Yeuse qui est une histoire à part entière, avec sa propre conclusion qu’il ne faut pas éventer. Vous vous en doutez, j’envisage déjà d’autres récits dans le même univers. Tout en travaillant à la structure de la prochaine grande aventure, je réfléchi à de petites nouvelles unitaires, parfois plus légères, mais qui pourraient néanmoins fournir des clés de compréhension à qui s’intéresse à ce monde et à son histoire. C’est le genre de chose que je compte proposer en libre accès sur le site, en parallèle au Journal d’Æwinn qui va s’étoffer de nouveau billet d’humeur (mauvaise, cela va sans dire)


L’auteur et ses influences

18 – Inspirations ?

Il serait vain de nier que Le Trône de Fer de George RR Martin est une influence majeure. Même si je n’avais pas placé mon récit dans une époque rappelant le haut moyen-âge, j’aurais de toute façon adopté cette forme que je trouve parfaite, où chaque chapitre est écrit du point de vue d’un personnage. C’est idéal pour distiller des informations au compte-goutte, faire l’impasse sur certains aspects de l’histoire ou des personnages afin de perdre le lecteur, l’induire en erreur ou, parfois, lui donner une longueur d’avance. Je lis assidûment tout ce que produit Jean-Philippe Jaworski. Que ce soit sa saga Les Rois du Monde ou celle du Vieux Royaume.

Mes premières lectures de Tolkien ont été laborieuses jusqu’à ce que je me décide à lire le Silmarillion. Je n’avais pas compris que Le Seigneur des Anneaux était un bien plus un mythe qu’une simple aventure, et qu’il convenait de le lire un peu comme on lirait un passage épique de la Bible, par exemple. J’ai alors pu en apprécier toute la poésie et le côté contemplatif. Ça m’a beaucoup inspiré pour les passages mystiques de l’Yeuse.

J’ai très tardivement découvert Robin Hobb et l’Assassin Royal a été une véritable claque. J’avais presque terminé l’Yeuse à ce moment-là, mais pour mon prochain roman, il me faudra être très vigilant, ne pas me laisser déborder par cette influence toute fraiche.

Stephen King est bien sûr ma toute première inspiration, et même s’il ne s’agit pas de littérature, je me dois de citer Kaamelott, qui est, à mon sens, une leçon d’écriture et une source inépuisable d’inspiration comme de motivation.

19 – Ce que vous voulez que les lecteurs retiennent ?

J’espère qu’ils retiendront de cette « mise en bouche » qu’ils ont affaire à un univers solide, et qu’ils me feront ainsi confiance pour les entraîner dans le vif du sujet dès les premières pages du tome 2 (dès octobre prochain)

20 – Trois mots pour résumer L’Yeuse ?

« Éloignez nos Vieux Démons » (je triche un peu en ne comptabilisant pas le « nos »)


 

📚 L’Yeuse, Première partie est disponible dès maintenant. Et vous, chers lecteurs, avez-vous déjà plongé dans cet univers ? Ou vous laissez-vous tenter par ce voyage au cœur du Continent ? Partagez vos impressions en commentaire !

Author: Angelique

J’ai créé Entre Mots et Moustaches, un espace chaleureux où se rencontrent ma passion des livres, ma créativité et mon amour des animaux. Chroniqueuse littéraire et bêta-lectrice, j’écris actuellement mon premier roman, que je souhaite publier le 25 avril 2026, une date symbolique pour moi.
Après dix années auprès de mes chevaux, un accident m’a guidée vers un nouveau projet : l’ouverture d’un bar à chats en partenariat avec la SPA et La clé des chats, mêlant café littéraire, bouquinerie et reiki, une philosophie que je pratique au quotidien depuis 2020. Entre nature, randonnées et instants gourmands, je poursuis mon chemin en tissant des liens entre mots, animaux et spiritualité.


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2 thoughts on “Interview de Christophe Menet – L’Yeuse : aux origines d’un univers foisonnant

  1. Bonjour Angélique,

    J’ai beaucoup apprécié vos questions pertinentes et les réponses non moins pertinentes de Christophe Menet. Cependant, j’ai du mal a m’introduire dans le monde qu’il patiemment créé ainsi que d’imaginer ses personnages. Sans doute suis-je trop imprégné de notre Nature terrestre ! Merci pour cette interview passionnante.